Karen Nadine, l’ubiquiste de la fessée

27 Juil 20184 commentaires

Depuis le début des années 2000, la Néerlandaise Karen Nadine explore inlassablement le web à la recherche d’œuvres de BDSM Art, avec une sensibilité particulière pour la fessée érotique. Les milliers de gravures, dessins, peintures et photos qu’elle déniche au fil de ses pérégrinations sont exposés sur sa galaxie de sites thématiques.

Mais ce n’est pas tout. Lorsqu’elle ne s’adonne pas à ses tâches de conservation artistique, cette femme de 46 ans également connue sur la toile sous le pseudonyme de Mis Tique exprime ses propres désirs masochistes et de soumission dans des poèmes en néerlandais et des photographies.

Karen Nadine tient en outre, depuis 2006 dans sa région du Brabant-Septentrional, un cabinet professionnel de «kink aware coaching». Elle y vient en aide aux personnes ayant besoin de parler en toute confiance de leurs désirs de soumission ou de domination et des problèmes que leur sexualité non-conventionnelle leur cause.

Personnalité profonde et à tiroirs, Karen Nadine semble avoir plusieurs vies, toutes plus intéressantes les unes que les autres. Qui est-elle? Comment une seule et unique personne parvient-elle à concilier toutes ces activités créatives et sociales?

Je suis allé le lui demander.

Claquements – Vous semblez avoir plusieurs personnalités et exercez un nombre étonnant d’activités différentes. Qu’êtes-vous en premier lieu : une artiste, une poète, une conservatrice d’art ou une coach ?

Karen Nadine – Difficile de répondre! En ce moment, je consacre la majorité de mon temps à chercher et conserver des œuvres d’art. Mais je possède aussi une plateforme BDSM en Néerlandais liée à ma connaissance et à mes expériences en tant que «kink aware coach» sur laquelle je passe du temps tous les jours. Bref, je suis un peu de tout. En plus, je suis mariée, j’ai deux enfants et je m’occupe de ma vieille mère.

Claquements – Comment avez-vous commencé à collectionner l’art BDSM ?

K. N. – En 2001, j’ai créé un site personnel d’écrits et de poésie sur mes désirs de soumission. Comme je voulais ajouter une touche artistique à ce site, j’y ai mis quelques images pour épicer les textes. Rapidement, j’ai réalisé que mes visiteurs, dont une grande partie venaient de l’étranger et ne comprenaient pas le néerlandais, préféraient l’art à l’écrit.

Alors, en 2002, j’ai décidé d’ajouter une galerie à mon site. J’ai commencé à contacter des artistes pour leur demander de m’autoriser à y publier quelques unes de leurs œuvres. Et je me suis aperçue de deux choses. Premièrement, que mon public ignorait qu’il existait un si grand nombre d’artistes qui créent des œuvres BDSM incroyables. Et deuxièmement, que les artistes BDSM éprouvaient les pires difficultés à trouver des plateformes pour se faire connaître et s’exposer au public, le sujet étant encore assez tabou à l’époque. En 2005, j’ai scindé mon site en deux : un consacré à mes écrits, et l’autre complètement dédié à l’art BDSM : Secretsbdsmart.com

Claquements – En quoi consiste votre activité de conservatrice?

K. N. – En tant que conservatrice, je contacte les artistes pour leur demander la permission de publier quelques unes de leurs œuvres. Puis je mets ces œuvres en ligne avec une petite biographie de l’auteur, et j’en fais la promotion sur les réseaux sociaux. Depuis un an, j’informe également mes visiteurs des ventes d’art intéressantes à venir. Les artistes BDSM qui veulent commercialiser leurs œuvres sont toujours les bienvenus sur mon site, mais je me promène aussi sur des plateformes de vente en ligne comme eBay, Amazon ou Catawiki à la recherche d’informations à partager.

Secretsbdsmart.com est complètement dédié à l’art moderne BDSM. Mais comme, au cours de mes recherches, je tombe souvent sur de magnifiques œuvres « rétro », j’ai ouvert un autre site spécialement consacré à cette catégorie: Vintagefetishart.

J’ai aussi construit un site spécialement consacré à la fessée dans l’art ancien et moderne, Artspanking.com, et un autre en hommage à deux grands photographes qui sont, à mon avis, les pères-fondateurs de la photographie BDSM et de fessée, Jacques et Charles Biederer (www.ostrastudio.com).

L’art « vintage » est essentiellement issu de France et d’Allemagne. Les artistes modernes proviennent d’horizons plus larges, d’Europe, d’Amérique et un peu de Russie. Chercher des œuvres et des informations sur les artistes, créer des collections me prend beaucoup de temps. Mais c’est quelque chose que j’aime faire et j’ai l’impression d’apporter ma contribution au monde de l’art BDSM.

Claquements – Dans le « spanking art », existe-t-il des différences selon le pays ?

K. N. – En art moderne, pas vraiment. Dans l’art « vintage », je vois de grandes différences entre les artistes français, allemands et américains. Les Allemands donnent de la fessée l’image d’un châtiment disciplinaire des plus sérieux. Les Français préfèrent la montrer aussi comme quelque chose d’amusant. Les artistes américains « vintage » se sont inspirés à la fois des Allemands et des Français tout en ajoutant leur propre interprétation. La plupart des artistes français et allemands ont exercé vers 1930 mais pour ce qui est des Etats-Unis, je ne connais que des œuvres postérieures à 1950.

Claquements – Quelle est la plus ancienne œuvre de « spanking art » connue ?

K. N. – Une fresque murale à Pompéi.

Claquements – Parlez-moi de vos œuvres à vous…

K. N. – Je suis photographe amateur. Je fais du portrait, de la photo érotique, glamour, fétichiste, des paysages… Mais mon sujet de prédilection, ce sont les cimetières. Je sais, ça surprend ! Cela peut aussi vous donner de fausses idées. Pour moi, me promener dans un cimetière, c’est comme parcourir l’Histoire. J’aime photographier les vieilles tombes et les petits détails qui illustrent l’amour qui entourait les personnes disparues. Difficile à expliquer, mais il existe une beauté cachée dans les cimetières, et j’aime capturer cela.

Quant à mes poèmes, ils expriment principalement mes sentiments de soumise. J’en ai écrit énormément à une époque où je me sentais incomprise ou déconnectée. J’ai aussi beaucoup écrit à propos de mes désirs, et de la dynamique si belle et si spéciale qui existe entre deux amants qui partagent une connexion au BDSM. J’écris sur des sujets variés mais la dynamique sadomasochiste reste au centre de ma poésie.

 
Claquements – Parlons de votre activité de coach BDSM. Comment en êtes-vous arrivée là ?

K. N. – Je me définis comme une masochiste et une soumise. Le fantasme de fessée a toujours fait partie de moi. J’en ai pris conscience dès mon plus jeune âge. Mais ma décision d’assumer publiquement mes désirs de soumission et de fessée a été l’aboutissement d’un lent processus.

J’ai commencé par rejoindre un groupe sur le BDSM. En 2001, j’ai créé un site dans lequel j’exprimais par écrit mes pensées et désirs. Il est toujours en ligne. Puis, en 2002, j’ai monté ma propre petite plateforme au sein de laquelle chacun pouvait venir parler de ses désirs BDSM dans un environnement sûr. Seize ans plus tard, cette plateforme est également toujours en ligne.

En 2005, quelqu’un m’a demandé pourquoi je continuais à offrir mes conseils bénévolement au lieu d’en faire un métier à part entière. J’ai repris des études pour étoffer mes compétences et je me suis lancée. J’ai démarré mon activité en 2006. A cette époque, il n’y avait aux Pays-Bas que deux «kink aware coaches» professionnels qui travaillaient tous deux sous des pseudonymes. Je ne voulais pas suivre cet exemple. Je sentais que, si je voulais inspirer confiance à mes clients, il fallait que j’exerce sous mon vrai nom. C’est ainsi que j’ai en quelque sorte « assumé publiquement » ma nature. Cela n’a pas eu un grand impact sur ma vie car ma famille et mes proches connaissaient déjà mes désirs.

Claquements – « Kink aware coach », c’est quoi ?

K. N. – Cela consiste à aider ceux qui découvrent leurs désirs BDSM et souhaitent en parler à une personne de confiance. Ils ont besoin de quelqu’un qui leur dise que ce qu’ils éprouvent n’est pas inhabituel. Beaucoup, avant, sont allés voir d’autres professionnels qui leur ont conseillé d’oublier ou d’ignorer leurs désirs. Mais tous ceux qui ont ce type de besoin intérieur savent à quel point l’ignorer est difficile, et même malsain.

Donc, j’écoute mes clients, je les laisse parler, et je réponds à leurs questions en mobilisant au mieux mes connaissances. J’ai aidé un grand nombre de couples qui font face à un conflit dans leurs désirs : l’un a des désirs BDSM, l’autre n’en a pas, voire les réprouve. Cela peut être très difficile de trouver l’équilibre au sein d’un couple quand c’est comme ça. En tant que coach, je les aide à trouver cet équilibre. Je travaille avec eux sur de possibles solutions qui respectent les limites de chacun.

Quelquefois, quelqu’un vient à moi avec une question qui me semble facile, mais qui pour lui se rapporte à un monde nouveau, qu’il ignorait totalement. Comme : où puis-je rencontrer mes semblables? Comment trouver quelqu’un avec qui explorer le BDSM?

Mes clients arrivent avec des problèmes très variés, impossibles à résumer en quelques mots. Je facture 35 euros pour une consultation par chat ou email, et 45 euros pour une rencontre face à face.

Claquements – La fessée est-elle un thème qui revient souvent chez vos clients ?

K. N. – Pas vraiment. La plupart de mes clients sont frustrés à propos de leurs désirs BDSM en général, pas spécifiquement à propos de la fessée. Mais je ne suis pas sûre que les fantasmes de fessée soient encore bien acceptés. Quand les gens en parlent, c’est souvent avec une pointe d’ironie. La fessée en tant que pratique ludique est plus largement acceptée maintenant, mais les relations de discipline domestique, par exemple, se heurtent encore souvent à l’incompréhension et au rejet. Beaucoup de gens ont encore honte de leur désir de fessée… et ce même au sein de la communauté BDSM!

Claquements – Votre expérience la plus gratifiante ?

K. N. – Un jour, j’ai reçu la visite d’un couple âgé. Ils avaient tous les deux 65 ans et, tout au long de leur mariage, ils avaient souffert à cause des désirs de soumission de l’un d’eux. Ils avaient pratiquement renoncé à trouver l’équilibre. Mais je me suis vite aperçue que le fait de parler avec moi avait un impact positif. Les voir découvrir de nouvelles voies à leur âge, et profiter du BDSM en respectant leurs frontières individuelles respectives a été une expérience incroyable.

Propos recueillis par MrClaquements

Photographies: © Karen Nadine

Les illustrations sont issues du site Artspanking

L’Univers de Karen Nadine

Artspanking : la fessée dans l’art, des origines jusqu’à nos jours.

Ostra Studio : site d’hommage aux frères Jacques et Charles Biederer (morts à Auschwitz en 1942) et à leurs superbes photographies de fessée « rétro ».

Vintage Fetish Art : galerie d’art érotique oublié.

Duale Coaching : le cabinet de « kink awareness coaching » de Karen Nadine (en néerlandais).

Secrets BDSM Art : galerie virtuelle d’artistes et photographes BDSM contemporains (j’y suis!)

Mistique Secrets : poésie BDSM en néerlandais par Karen Nadine.

BDSM Minnend : plateforme d’échanges sur le BDSM en néerlandais.

Karen Nadine dispose également de profils publics sur Facebook et Twitter.