Dans la caverne

26 Avr 20197 commentaires

Fantasmer sur la fessée signifie vivre caché. Du moins est-ce presque toujours le cas.

Je connais peu de gens qui claironnent leur penchant au grand jour. J’en connais en revanche énormément qui, persuadés d’être « anormaux » ou seuls au monde, ont étouffé leurs pulsions pendant des années, parfois même pendant des décennies pour ceux qui ont vécu avant internet.

Et même parmi ceux d’entre nous qui assumons et pratiquons la fessée sans complexe, qui peut se vanter de n’avoir jamais été confronté au rejet ou à l’incompréhension?

De nos jours, il est infiniment plus facile à un gay ou une lesbienne de sortir de son placard qu’à un amateur de fessées de sortir de sa caverne. Je me demande souvent par quel malheur un fantasme aussi inoffensif et facile à pratiquer que la fessée érotique entre adultes consentants est toujours plus difficile à raconter à un ou une partenaire que, mettons, une envie de sexe oral. Demander un cunnilingus ou une fellation, quoi de plus normal dans une vie de couple? Alors qu’avouer un désir de fessée se révèle beaucoup plus épineux (voir l’article – en anglais – consacré à ce sujet). L’affaire peut même mal tourner.

 

Mauvaise réputation

 

Est-ce parce que la fessée, dans l’esprit de la plupart des gens, reste associée aux violences éducatives de l’enfance? Ou bien parce qu’elle peut être facilement confondue avec les violences conjugales? Une partenaire peu ouverte d’esprit à qui j’avais un jour eu la mauvaise idée de raconter mon fantasme m’avait demandé si j’étais pédophile ou si j’aimais faire du mal aux femmes en général!

La fessée – telle que j’en parle sur ce site – n’est qu’un jeu sensuel et consensuel entre personnes majeures et vaccinées. Pourtant, cela restera toujours difficile à concevoir pour qui n’a pas ce désir ancré dans ses gènes. De ce fait, un fantasme de fessée peut se retourner contre vous, jeter la suspicion sur votre santé mentale, par exemple lors d’une procédure de divorce quand la garde des enfants est en jeu. Ce même fantasme dévoilé au grand jour peut être désastreux pour la carrière d’un enseignant. Partout où nous posons le pied, les préjugés nous guettent. La prudence commande d’y réfléchir à deux fois avant de faire son coming out, façon “ça passe ou ça casse”, face à quelqu’un dont on n’est pas sûr des réactions.

Les risques sont évidemment plus faibles pour celles et ceux qui n’aiment que recevoir la fessée, et non la donner. Mais même dans ce cas, la peur du qu’en dira-t-on s’avère dissuasive. Si j’avoue mon envie d’être fessé(e), va-t-on me rire au nez? Va-t-on penser que j’aime être rabaissé(e) et humilié(e) dans ma vie réelle? Vais-je perdre le respect de la personne que j’aime? Vais-je être atteint dans ma dignité, dans ma virilité? Le pas restera toujours difficile à franchir… et ce même dans notre monde à nous: combien d’hommes, par ego, jurent n’aimer que donner la fessée à une femme, tout en rêvant secrètement d’inverser les rôles?

Certes, les choses changent. Les articles sur la fessée pullulent dans la presse féminine (ce n’était pas encore le cas il y a dix ans). La galaxie toujours plus vaste des blogs sur la sexualité s’empare allègrement du sujet. Il arrive parfois que des personnalités publiques de haut rang révèlent accidentellement un fantasme de fessée réel ou supposé sans que cela ne détruise leur existence. Même les « Vanilles » les plus dogmatiques ont vu le film La Secrétaire et commencent à savoir faire la différence entre fantasme et réalité. Et, quoiqu’on pense du roman et du film, l’effet Cinquante nuances de Grey a été un événement positif. J’ai pu lire ici ou là qu’en 2019, la fessée est devenue “mainstream”.

De La Secrétaire aux 50 nuances

Reste qu’une prédilection pour la fessée est beaucoup plus difficile à avouer, curieusement, que celle pour le BDSM “pur et dur”, qui fait chic et jouit d’une certaine aura de mystère. Combien de fois ai-je dit, pour commencer à faire comprendre à quelqu’un que j’aimais la fessée, que “j’étais sado-maso”? La pilule a souvent été plus facile à passer ainsi, alors même que mon engouement « monothématique » pour la fessée se situe loin, très loin des frontières du BDSM.

Ce dont je parle ici doit vous sembler bien étrange si vous avez moins de trente ans. Si c’est le cas, il y a de fortes chances pour que vous n’ayez jamais été sur la défensive en avouant votre fantasme à quelqu’un. Probablement n’avez-vous jamais rêvé de rencontrer “par hasard” une personne partageant votre appétit pour la fessée. Comme tout le monde désormais, vous allez sur le web pour rencontrer vos semblables.

Voilà belle lurette que j’ai cessé moi aussi de m’ouvrir à des personnes dont j’ignore s’ils portent en eux ou non le “gène” de la fessée. Internet est un luxe que n’avaient pas les générations précédentes. Je ne me confie plus qu’aux gens dont je sais par avance qu’ils ne me jugeront pas, qu’ils me prêteront une oreille favorable. Toute autre personne est présumée “vanille” et intolérante jusqu’à preuve du contraire. Tant pis si, ce faisant, je m’enferme dans une bulle – ou dans une caverne. Le monde extérieur reste beaucoup trop hostile.

La fessée est tout pour moi. C’est la clé de voûte de ma sexualité, une véritable nécessité qui ne m’a jamais quitté depuis mon enfance. Une vraie bonne fessée contient toutes les satisfactions érotiques dont j’ai besoin pour vivre. De ce fait, la sexualité “conventionnelle” ne m’intéresse que modérément. J’en suis venu à penser que la fessée était, chez moi, une orientation sexuelle à part entière. Je trouve parfois dommage de ne pas pouvoir en parler librement, d’être condamné à vivre cette orientation dans une caverne… mais d’un autre côté, il fait si doux dans notre caverne, dont les parois résonnent de délicieux claquements!

Mr C.